mardi 30 juillet 2013

Dark skies (Scott Charles Stewart, 2013)


« Dark skies » se sert astucieusement d’une inclusion du surnaturel dans le quotidien d’un foyer états-unien typique, très cadré, pour faire ressortir les doutes et les peurs qui se dissimulent derrière la lisse façade de l’american way of life. Stewart se rapproche en cela de l’esprit d’une série de films nord-américains, assez abondante ces dernières années, qui explorent sur un mode similaire le thème du « malaise dans la civilisation américaine.»
La société américaine est présentée comme s’interrogeant et vacillant dans ses certitudes dans de nombreuses productions cinématographiques et télévisuelles ces dernières années.
Que ce soit par l’immixtion du terrorisme (la série « Homeland »), de la déviance sexuelle (« Little children »), des catastrophes naturelles ou de la psychose (« Take shelter »), la même sourde appréhension d’un avenir (voire d’un présent) incertain se trouve dévoilée dans ces films, que le quotidien bien huilé de patriote/travailleur/parent bien intégré peine à masquer efficacement.
Avec ses plans de pelouses bien entretenues de banlieue résidentielle typique (ornées de l’omniprésente bannière étoilée), ses barbecues entre voisins, et ses convenances pesantes en termes de « paraître », « Dark skies », tout comme « Take shelter » et les films précédemment cités, met en scène une double angoisse : à la fois celle de la plongée dans l’inconnu et celle d’être dépossédé de sa place dans la communauté. Deux craintes  qui émaillent le film et se renforcent l’une l’autre, la seconde interdisant de trouver du secours pour faire face à la première. Cette inquiétude constante de perdre la face (et la stabilité matérielle) amenant les protagonistes à s’isoler, se déchirer en secret, et s’enfoncer toujours plus dans le désespoir de leur incommunicable problème (ici le harcèlement par des créatures extraterrestres).
Ce n’est pas un hasard que la montée graduelle de la paranoïa chez la famille Barett se fasse dans le contexte de l’approche de la fête nationale. C’est d’ailleurs lors du fatidique 4 juillet, sur fond d’hymne américain brouillé par les interférences aliens, que les « gris » donnent leur dernier assaut et emportent leur victime. Les Barett, à ce moment précis, sont devenus tout à la fois des bêtes traquées poussées aux dernières extrémités (barricadés qu’ils sont dans leur pavillon avec des armes à feu) et des parias coupés du tissu social, qui n’ont même plus la possibilité d’ouvrir un volet pour regarder le traditionnel feu d’artifice.

Commençant comme un film de revenants assez classique du genre « Poltergeist, » où le propos reste plutôt en surface et se concentre avant tout sur les effets, « Dark skies » se révèle peu à peu par sa critique sous-jacente de la société américaine (précarité, nationalisme, contrôle social…). Le film se révèle réellement vers le dernier tiers, quand il nous fait comprendre qu’on ne peut rien faire ou presque pour échapper à la source du « problème » car celle-ci est indissociable de notre existence, que nous la portons déjà en nos chairs et nos consciences.
La peur d’un invincible « mal déjà en nous » est ainsi particulièrement palpable dans « Dark skies », comme ces implants indécelables et inextirpables que les « gris » placent derrière l’oreille de leurs cobayes pour les surveiller et les contrôler.
Elle s’insinue petit à petit au travers des scènes de possession et de cauchemars récurrents (où les personnages perdent progressivement la maîtrise de leur corps et de leur esprit), et culmine vers la fin du film lors de l’entretien avec Edwin Pollard, le vieil ermite spécialiste des extraterrestres.
Introduit par un amusant jeu d’inversion des rôles (c’est l’ufologue qui leur fait passer des tests pour vérifier qu’il n’a pas affaire à des cinglés), on assiste alors à un radical changement de paradigme, véritable plongée en enfer psychologique dont les protagonistes ne se relèveront pas : Pollard, également cobaye des aliens, révèle que l’invasion des « gris » est une réalité indépassable, achevée depuis longtemps, et dont on a plus qu’à s’accommoder comme on peut. Lui-même a renoncé à se prémunir contre l’ingérence des envahisseurs en remplaçant les chiens (qui aboient lors des « visites ») par des chats. Juste pour dormir un peu moins mal... Ainsi, à l’approche du dénouement, le seul personnage en possession d’un réel savoir sur les tourments dont souffrent les héros est impuissant à leur fournir le moindre recours. Bien loin des figures tutélaires typique des films d’emprise du surnaturel (le prêtre de « l’exorciste, » l’oncle occultiste d « Amityville, la maison du diable »), qui apportent généralement une aide indispensable aux héros pour vaincre sa malédiction, Pollard n’est qu’un témoin passif se contentant de punaiser les avis de disparition sur son panneau de liège. Il laisse les Barett seuls, plus démunis que jamais face à leur sort. Comme si, désormais, savoir ne fournissait plus les clés de l’action et n’empêchait pas le pire d’arriver.

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