« Dark skies » se sert astucieusement d’une
inclusion du surnaturel dans le quotidien d’un foyer états-unien typique, très
cadré, pour faire ressortir les doutes et les peurs qui se dissimulent derrière
la lisse façade de l’american way of life. Stewart se rapproche en cela de l’esprit d’une série de
films nord-américains, assez abondante ces dernières années, qui explorent sur
un mode similaire le thème du « malaise dans la civilisation américaine.»
La société américaine est
présentée comme s’interrogeant et vacillant dans ses certitudes dans de
nombreuses productions cinématographiques et télévisuelles ces dernières
années.
Que ce soit par l’immixtion du
terrorisme (la série « Homeland »), de la déviance sexuelle (« Little
children »), des catastrophes
naturelles ou de la psychose (« Take shelter »), la même sourde appréhension
d’un avenir (voire d’un présent) incertain se trouve dévoilée dans ces films,
que le quotidien bien huilé de patriote/travailleur/parent bien intégré peine à
masquer efficacement.
Avec ses plans de pelouses bien entretenues de banlieue
résidentielle typique (ornées de l’omniprésente bannière étoilée), ses
barbecues entre voisins, et ses convenances pesantes en termes de
« paraître », « Dark skies », tout comme « Take
shelter » et les films précédemment cités, met en scène une double
angoisse : à la fois celle de la plongée dans l’inconnu et celle d’être
dépossédé de sa place dans la communauté. Deux craintes qui émaillent le film et se renforcent
l’une l’autre, la seconde interdisant de trouver du secours pour faire face à
la première. Cette inquiétude constante de perdre la face (et la stabilité
matérielle) amenant les protagonistes à s’isoler, se déchirer en secret, et
s’enfoncer toujours plus dans le désespoir de leur incommunicable problème (ici
le harcèlement par des créatures extraterrestres).
Ce n’est pas un hasard que la montée graduelle de la
paranoïa chez la famille Barett se fasse dans le contexte de l’approche de la
fête nationale. C’est d’ailleurs lors du fatidique 4 juillet, sur fond d’hymne
américain brouillé par les interférences aliens, que les « gris »
donnent leur dernier assaut et emportent leur victime. Les Barett, à ce moment
précis, sont devenus tout à la fois des bêtes traquées poussées aux dernières
extrémités (barricadés qu’ils sont dans leur pavillon avec des armes à feu) et des parias coupés du tissu social, qui n’ont même plus
la possibilité d’ouvrir un volet pour regarder le traditionnel feu d’artifice.
Commençant comme un film de revenants assez classique du
genre « Poltergeist, » où le propos reste plutôt en surface et se concentre avant tout sur les
effets, « Dark skies » se révèle peu à peu par sa critique
sous-jacente de la société américaine (précarité, nationalisme, contrôle
social…). Le film se révèle réellement vers le dernier tiers, quand il nous
fait comprendre qu’on ne peut rien faire ou presque pour échapper à la
source du « problème » car celle-ci est indissociable de notre
existence, que nous la portons déjà en nos chairs et nos consciences.
La peur d’un invincible « mal déjà en nous »
est ainsi particulièrement palpable dans « Dark skies », comme ces
implants indécelables et inextirpables que les « gris » placent
derrière l’oreille de leurs cobayes pour les surveiller et les contrôler.
Elle s’insinue petit à petit au travers des scènes de
possession et de cauchemars récurrents (où les personnages perdent
progressivement la maîtrise de leur corps et de leur esprit), et culmine vers
la fin du film lors de l’entretien avec Edwin Pollard, le vieil ermite
spécialiste des extraterrestres.
Introduit par un amusant jeu d’inversion des rôles (c’est
l’ufologue qui leur fait passer des tests pour vérifier qu’il n’a pas affaire à
des cinglés), on assiste alors à un radical changement de paradigme, véritable
plongée en enfer psychologique dont les protagonistes ne se relèveront
pas : Pollard, également cobaye des aliens, révèle que l’invasion des
« gris » est une réalité indépassable, achevée depuis longtemps, et
dont on a plus qu’à s’accommoder comme on peut. Lui-même a renoncé à se
prémunir contre l’ingérence des envahisseurs en remplaçant les chiens (qui
aboient lors des « visites ») par des chats. Juste pour dormir un peu
moins mal... Ainsi, à l’approche du dénouement, le seul personnage en
possession d’un réel savoir sur les tourments dont souffrent les héros est
impuissant à leur fournir le moindre recours. Bien loin des figures tutélaires
typique des films d’emprise du surnaturel (le prêtre de
« l’exorciste, » l’oncle occultiste d « Amityville, la
maison du diable »), qui apportent généralement une aide indispensable aux
héros pour vaincre sa malédiction, Pollard n’est qu’un témoin passif se
contentant de punaiser les avis de disparition sur son panneau de liège. Il
laisse les Barett seuls, plus démunis que jamais face à leur sort. Comme si,
désormais, savoir ne fournissait plus les clés de l’action et n’empêchait pas
le pire d’arriver.
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