mardi 5 avril 2011

Frissons (David Cronenberg, 1975)


Premier film de Cronenberg à rencontrer le succès, « Frissons » reste assurément l’un des  meilleurs du réalisateur. La plupart de ses thèmes de prédilection sont déjà là, condensés : Mutations corporelles, contagion, retour à l’animalité, sexualité « contre-nature »…
S’il est moins abouti structurellement et formellement qu’un « Videodrome » ou un « Faux-semblants », il possède en revanche une force expressive qui va droit au but, une puissance évocatrice rarement atteinte par la suite.

 Dès les premières images, des diapos publicitaires présentant un complexe résidentiel de grand standing, on est saisi par une ambiance de fin du monde. Ces photos aux couleurs passées, commentées par une voix-off monocorde, ont d’emblée quelque chose de décalé et de morbide ; comme si l’on nous présentait les derniers clichés d’une civilisation décadente, déjà  disparue.
Dès le départ Cronenberg prend le contre-pied du film d’horreur classique : L’élément perturbateur, le parasite, ne vient pas corrompre une quelconque harmonie, troubler un ordre des choses défendable par essence, mais bien renverser une société mortifère et inhumaine.
Dans la trilogie des morts-vivants de Roméro, le chaos faisait office de révélateur. Celui-ci filmait un monde en proie à l’arbitraire des « zombies » pour mettre en évidence les travers de notre société moderne. Face à la chute de la civilisation l’homme moderne se découvre sans fard, tel qu’il est vraiment : raciste, égoïste, méchant, lâche et jaloux.
Pour Cronenberg, bien au contraire, ce qui émergera de l’apocalypse ne sera pas une simple reproduction (fut-elle cauchemardesque) de la société qui donna naissance au désastre, mais bien une rupture fondamentale avec l’ordre ancien (l’idée de « la nouvelle chair », telle qu’il cherchera à la mettre en évidence dans « Videodrome », est déjà en germe). Il pointe les défauts de ses contemporains en les confrontant à l’antithèse la plus brutale de leur monde, et leur démontre que cette alternative n’est pas sans séduction.

Au début du film, le parasite est présenté sous un aspect menaçant et contre-nature qui le rend, lui et toutes ses manifestations, hautement repoussants. Métaphore évidente de la sexualité : Son mode d’action, et les hybrides qu’il engendre, terrifient par leur sauvagerie sans limite les « civilisés » que nous sommes. Rien ne nous semble plus naturel que de lutter contre la propagation de cette horreur.
Il faut attendre la fin du film pour voir cette relation se renverser. Le « héros », à force de buter froidement tout ce qui bouge, commence à nous apparaître plus comme un meurtrier sanguinaire que comme un « sauveur ». St-Luc est en effet le seul à tuer des gens durant le film, à l’exception notable du créateur du parasite (qui étrangle sa jeune maîtresse dans les premières scènes). Il est d’ailleurs intéressant de constater que le Dr Hobbes (homonyme du philosophe qui pensait que la nature mauvaise de l’homme ne pouvait être corrigée que par une mise en société réglée), bien qu’ayant donné le jour au parasite dans une optique clairement révolutionnaire, flanche au dernier moment et tente de l’éradiquer avant de se supprimer. Ainsi, tout en portant en lui les germes de la subversion sociale (en tant que pédophile et obsédé sexuel), il représente également (de même que St-Luc), un certain archétype de l’homme de science, réactionnaire et hygiéniste, naturellement amené à s’opposer au projet libérateur porté par le parasite. Ambivalence qui le conduit vraisemblablement au suicide. Le personnage de Saint-Luc (référence à l’Apôtre évangélisateur et patron des médecins) n’admet quant à lui aucune équivoque jusqu’à sa « conversion forcée » dans la piscine (le bœuf, symbole de Luc, est l’animal emblématique du sacrifice).
A l’inverse, on se rend compte progressivement que les adversaires hybrides du « héros » ne sont pas aussi malveillants qu’ils en avaient l’air. En dépit de leur aspect bestial, ils ne paraissent pas vouloir nous nuire, mais plutôt partager avec nous une forme d’expérience du charnel, profonde et authentique. Le parasite, dans cette nouvelle perspective devient une forme de don à offrir à son prochain pour le libérer des contraintes d’une société étriquée et liberticide. Une hostie d’un genre nouveau, qui vous permet d’accéder à la conscience collective orgiaque partagée par les adeptes de la « nouvelle chair. » 

Contrairement aux zombies de Roméro, ou aux enragés de Cronenberg dans « Rage », ces hybrides ne sont nullement des meurtriers décérébrés. Ils seraient même plutôt en possession, une fois le parasite incorporé, d’une forme de libre-arbitre dépassant de loin celle de « l’Homo Modernicus », car non assujetti à des convenances contraignantes et hypocrites; la liberté dionysiaque l’emportant définitivement sur la morale chrétienne et occidentale.
Quand ils se décident à sortir du complexe résidentiel pour répandre le parasite, ils le font en bon ordre, sans bousculade, sagement embarqués dans leurs petites voitures. Prêts à porter joyeusement leur message révolutionnaire au reste du monde.
La « civilisation » ne s’en relèvera assurément pas, l’espèce humaine elle-même finira même peut-être par s’éteindre (on imagine mal comment le renouvellement des générations ou la recherche de subsistance pourrait s’effectuer convenablement dans de telles conditions de débauche généralisée et permanente), mais l’Homme aura été plus authentique, vivant et libre qu’il ne l’aura jamais été.



1 commentaire:

  1. Putain, j'avais fais un commentaire en puisant au fin fond de mes connections neuronales, ms ce con d'ordi m'a tout effacé!! Pas l'energie de le refaire, ms pour résumer: l'idée que le film n'est pas révélateur des défauts de notre société mais pose plutôt une rupure est vraiment intéressante!!
    Celà-dit, je ne serais pas si tranché, car ds la société actuelle, la part pulsionnelle et infantile me paraît forte également...
    Voili voilou, à bientôt ;)

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