vendredi 25 février 2011

Black Swan (Darren Aronofsky, 2011)


Sujet sans surprise, introduit dès le départ, du double maléfique qui pourchasse l’héroïne au travers de multiples faux-semblants / jeux de miroirs (on pense d’emblée à « Perfect Blue »). On en attend le final sans suspens : la mise à mort qui seule permet d’échapper à ce cauchemar schizophrène et d’accéder au repos.
Le film parvient néanmoins à se montrer saisissant dans l’exposé, très éloquent, des innombrables variations sur le thème de l’agression et du sadisme qui mèneront la pauvre Nina à sa perte. Longue curée d’autant plus dérangeante qu’elle nous a été annoncée.


Black Swan évoque Lars Von Trier avec ses effets caméra à l’épaule, son image à gros grain très naturaliste (déjà employé dans « The westler »), et le martyre du personnage principal qui est en même temps une apothéose. Mais on retrouve la touche Aronofski dans le fait d’introduire au sein de ce traitement, plutôt documentaire, des effets spéciaux et un montage particulièrement retors et sophistiqué. Même s’il n’est pas toujours utilisé avec finesse (on tombe parfois dans la facilité de singer le film d’horreur contemporain à la « ring »), l’effet est dévastateur : on grince des dents pendant une bonne moitié du film et on ressort avec la nausée.
Un bon point pour le réalisateur, c’est qu’on n’a pas pour autant l’impression d’avoir été instrumentalisé et « pris en otage » comme dans certains Von Trier qui surjouent de pathos. Le spectateur s’identifie ici beaucoup plus au personnage principal (avec l’impression d’être soi-même agressé) qu’il ne pleure sur son sort.

La montée du mal est insidieuse mais permanente et emprunte tous les avatars imaginables : Le chorégraphe, la rivale, l’ancienne star qu’elle supplante, la mère… Jusqu’à l’héroïne elle-même. Tout le monde ou presque est amené à endosser le rôle du persécuteur.
Cette violence s’incarne avec une nette prédilection dans les aspects les plus intimes et, normalement, sécurisants de la vie de Nina : Dans son lit, quand elle fait sa toilette, se masturbe… Lui refusant par la même tout réconfort, tout échappatoire. Un gâteau à la crème  partagé avec sa mère devient ainsi enjeu intenable, susceptible d’ouvrir à toutes les violences (présence du couteau dans la main de la mère durant toute la scène). Transformation en son contraire de toutes les instances positives de la vie de Nina.

L’innommable s’introduit dans l’esprit (rêves éveillés, fausses reconnaissances et actions inconscientes) aussi bien que dans le corps (mutilations spontanées, mutation progressive du corps : orteils soudés, plumes de cygnes…) aboutissant à une métamorphose dans un esprit très Cronenberg, où le protagoniste devient le jouet de son propre inconscient.
Nina n’accède pas pour autant à un autre monde ou réalité parallèle : C’est bien dans le nôtre, redevenu trivial et sans fard, qu’elle s’éteint en définitive. Redevenue elle-même, bercé par l’écho des applaudissements de son triomphe presque déjà posthume, elle ne paraît pas entendre les paroles du chorégraphe qui l’affuble assez maladroitement du surnom de la star qui l’a précédé (ôtant par là même, de façon ironique, toute spécificité à son chemin de croix).

2 commentaires:

  1. Si les premières minutes "caméra en main" sont pénibles et nauséeuses de tremblements et secousses, cet effet s'oublie au fil du déroulement du film alors que c'est l'héroïne qui est secouée.

    Ce film pose aussi les questions de la limite de soi, l'héroïne s'oubliant aux conseils d'un metteur en scène effrayant, d'une mère qui rêve à travers sa fille. Elle ne joue plus le lac des cygnes, sa vie est devenue le lac des cygnes. Sans cesse on se questionne sur la réalité des persécuteurs/trices : sont-ils des productions de son propre esprit ? la réalité d'un milieu impitoyable ?

    C'est en tout cas à mon avis un film intéressant pour percevoir l'angoisse liée à la perte des repères d'un délire.

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  2. Tu évoques beaucoup de choses complexes d'une façon très concise. Belle critique cher ami!

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