mardi 12 janvier 2010

Inglorious basterds (Quentin Tarantino, 2009)



Un petit mot du dernier Tarantino qui, s’il est loin d’être parfait (comparé à certain de ses autres films), ne laisse pas indifférent.
Tenant à la fois du western, du « nazi exploitation »* et du film d’espionnage à suspense, Inglorious mélange les clichés baroques des films de genre, les scènes de pure violence réaliste et  les huis clos très dialogués. On y côtoie des acteurs d’au moins 3 nationalités différentes qui s’expriment en anglais, français ou allemand (voire alternent les trois), le tout dans un contexte historique des plus sensibles, prêtant comme aucun autre à la controverse et à la faute de goût.
Il fallait bien un Tarantino pour avoir les couilles de se lancer dans un projet aussi casse-gueule. Mais même lui ne parvient que partiellement à relever le défi : Film riche, original, ambitieux et décomplexé, il souffre d’être (très) inégal et de ne jamais parvenir à trouver son unité.

*  Film d'exploitation (à très petit budget, visant un public large) mettant en scène des nazis


Si l’on veut commencer par le meilleur, on pourrait dire que le thème du langage, sous jacent à toute l’intrigue et portant véritablement le film, est ici remarquablement bien traité.
Comme dans tous les films de Tarantino, les dialogues sont prédominants dans Inglorious, et remplissent de multiples usages : Creuser la mentalité des personnages, introduire les scènes postérieures, faire monter le suspens (notamment avant les scènes d’actions), créer un décalage humoristique…
La nouveauté ici est que le langage n’est plus traité comme un moyen servant l’intrigue mais comme une fin à part entière. Ne se limitant plus à la façon de s’exprimer, Tarantino traite ici du Langage  dans le sens le plus large du terme. À savoir la capacité à communiquer, sous toutes ses formes.
La connaissance des langues étrangères, des us et coutumes et de l’étiquette, la maîtrise du contexte de communication, l’intelligence du sous-entendu et du mensonge, deviennent dans ce film armes subtiles et implacables, permettant d’avoir le dessus dans toute situation d’interaction. Instruments de pouvoir entre les mains de qui sait les maîtriser (Le colonel Landa),  elles se retournent à la moindre erreur contre le fautif, engendrant la mort (le Lieutenant Hicox qui commande des bières sans accompagner sa demande du bon geste). Comme dans Ridicule (qui traite également du pouvoir du langage) on chute pour un mot de trop… Ou de moins. La subtilité est donc de mise dans ce film truffé de chausse-trappes, où chacun joue de multiples rôles pour survivre.

Dans un tel contexte, on assiste à une étonnante (et très intéressante) inversion des rapports de pouvoir dans la majeure partie d’Inglorious. Les Basterds, commandos d’élite et héros proclamés du film, ont beau être des maîtres sur leur terrain (comme le démontre leur séquence de présentation au premier tiers du film, qui glorifie particulièrement leurs capacités guerrières), ils sont très vite en difficulté sortis de leur contexte de prédilection. Lourdauds, nerveux, ne baragouinant que l’anglais pour la plupart, ils virent même au ridicule quand ils doivent participer, caricatures muettes et endimanchées, à une soirée de gala nazie.

Face à eux, sur un plan diamétralement opposé, trône le génial Colonel Landa. Polyglotte cultivé, éloquent et sagace, acteur né, gentleman cosmopolite et tueur implacable, il manie avec une égale facilité le registre de l’humour et de la menace. Magistralement interprété par Christoph Waltz, c’est incontestablement lui le personnage clé du film. À l’aise dans toutes les situations, jamais pris au dépourvu, il est le Maître dans cet univers de faux-semblants, et le sait très bien. Cruel comme un chat, il prend un plaisir sadique à jouer avec ses proies, forcément désarmées et sans défense face à tant d’habileté.
Presque toujours vainqueur, il commet cependant une grave erreur à la fin : Grisé par l’éclat de sa victoire, il en vient à présumer de sa toute puissance et à oublier que les mots ne sont pas tout. Face à deux brutes blasées et armées dans une forêt déserte, les paroles ne valent en effet plus grand-chose…

Un autre intérêt du film, c’est qu’il se caractérise également par son absence quasi totale de limites en ce qui concerne la ligne de conduite historique ou le genre.
Uchronie ouvertement annoncée, le procédé présente le double avantage de ménager un suspens pour le spectateur (contrairement aux films de guerre classique, on ne sait pas comment ça va finir) et de laisser la part belle à la créativité. Ceci permet à Tarantino de jouer, comme d’hab’, du cliché sans s’embarrasser des questions de ton ou de vraisemblance historique, et de traiter un film sur la seconde guerre comme on ne l'avait jamais fait. Tout y passe au culot : l’intro Western avec la musique de Morricone, l’esthétique bd sur fond de rock à la présentation des Basterds, le massacre des nazis à la pelloche incendiaire…
Il en ressort, dans de nombreuses parties du film, une incontestable énergie, une spontanéité qui tend à nous faire suivre l’action avec un regard de gosse. C’est la force de Tarantino, que de recycler les lieux communs du cinéma (le Héros, le duel, la vengeance…) en réussissant à adopter à la fois un certain recul (par l’humour et le décalage) et un premier degré délicieusement viscéral (comme la première fois qu’on a vue Indiana Jones).
Inglorious pourrait en cela être rapproché de Kill Bill… En malheureusement moins maîtrisé.


Première (et douloureuse) constatation dans le registre négatif : Contrairement à la plupart de ses précédentes productions, la sauce ne prend jamais tout à fait  entre les différents éléments. Tarantino à beau  découper son film en chapitres (comme il en a l’habitude) pour donner une impression de structure portant l’ensemble, le manque d’unité se fait cruellement sentir tout au long d’Inglorious.

Sous un point de vue strictement narratif rien ne relie vraiment les deux histoires parallèles qui nous sont montrées. Hormis le personnage du Colonel Landa et l’aboutissement final de leurs trajectoires autour de la projection du film de Goebbels (avec l’espoir commun d’y bousiller un maximum de dignitaires nazis), la vengeance de Shosanna paraît ne jamais rejoindre l’action des basterds, et s’intègre plus difficilement encore au contexte général d’espionnage/diplomatie qui sous-tend l’action de ces derniers. Shosanna n’a, de plus, aucune idée des agissements des américains ou de leur existence et inversement.
Comme si on avait là deux films qui se croisaient sans cesse, par clins d’œil, presque par hasard, sans jamais s’interpénétrer.

Impression de rupture d’autant plus gênante que ça ne semble pas complètement fait exprès. En admettant même que ce fut un choix délibéré du réalisateur, force est de constater que l’effet est imparfaitement maîtrisé. Car plus encore que la ligne narrative, l’inégale qualité des séquences vient enfoncer le clou, achevant de donner une dimension morcelée au film.

Peut-être Tarantino s’est-il laissé dépasser par la dimension multinationale d’Inglorious, car il ne semble pas parvenir à rendre aussi bien les scènes tournées avec des acteurs francophones que celles où apparaissent des acteurs anglophones (en dehors, bien entendu, de la scène d’introduction avec le paysan français).
Si l’on a rien à reprocher, que ce soit en termes de jeu ou d’ « image », à une Diane Kruger ou à un Brad Pitt (qui sont tout à fait dans le ton d’un film de Tarantino), il en va bien autrement de Mélanie Laurent et de son acolyte : Dès que la caméra porte sur eux on a la désagréable impression de se retrouver projeté dans un téléfilm français sur l’occupation.
On ne peut pas dire, cependant, que Mélanie Laurent joue mal à proprement parler (contrairement à Jacky Ido, qui interprète le projectionniste, dont chaque réplique manque affreusement de naturel). Simplement, elle ne semble pas avoir les épaules pour incarner une flamboyante vengeuse (il suffit de comparer à Uma Thurman dans Kill Bill). On l’imagine bien plus dans un drame français à l’atmosphère intimiste que dans une saga pleine de bruit et de fureur. Ainsi, la séquence où elle enfile sa robe rouge sur fond de David Bowie (sensée nous emporter) sonne comme l’une des fausses notes les plus marquées du film.

Enfin, toujours en termes de manque d’unité, on a parfois l’impression que la réalisation à du mal à faire cohabiter l’aspect « reconstitution historique » dans sa complexité (la plupart des personnages ayant une certaine étoffe et leurs actions de l’enjeu) et le grotesque du « nazi exploitation » (dirigeants nazis caricaturaux tirant parfois le film vers la grosse farce).
Le premier aspect prédominant nettement (on est clairement pas dans Papy fait de la résistance), le second donne un peu l’impression de tomber comme un cheveu sur la soupe quand il apparaît au détour d’une scène. Quand on a été témoin de la subtile cruauté d’un Colonel Landa, on a un peu du mal à croire à un chef suprême du IIIème Reich  mangeur de choucroute et gesticulant comme louis de funès…

Déséquilibré, le jeu sur les différences de tonalités entre les scènes, cher à Tarantino , finit par faire un peu patchwork.


Boulevard de la mort, réalisé juste avant, donnait une impression d’aboutissement, de maîtrise et d’homogeneité, et fait un peu figure (selon moi) de « film de la maturité ». Peut-on pour autant dire qu’Inglorious Basterds soit une déception? Franchement non. On ne ressort pas avec le même goût amer qu’après Mission to Mars (De Palma, à pleurer) ou For ever Mozart (Godard, idem). Sans être tout à fait aussi réussi dans sa globalité que ses précédents films, certaines scènes sont tout simplement brillantes, jouissives et jubilatoires, parmi ce que Tarantino à fait de mieux. Prises séparément elles rattrapent largement le déséquilibre de l’ensemble et la moins bonne qualité de certaines parties.
Il serait un peu facile de lui tomber dessus en s’exclamant qu’on savait qu’un jour Il se planterait. On ne peut tout de même pas lui reprocher d’essayer, et de faire preuve d’ambition dans ses projets.

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