dimanche 13 décembre 2009

2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968)



J’ai décidé de me confronter à un classique, et non des moindres : Le plus métaphysique des films de Kubrick, et sans aucun doute l’un des plus brillants. C’est d’ailleurs tout le problème de  faire l’analyse d’un film considéré comme un chef d’œuvre : on subit la pression accumulée de tout ce qui a déja écrit, associée à la crainte de ne rien dire de nouveau en définitive. Je me contenterai donc de poser quelques pistes de réflexion, de chercher à exprimer, à chaud, ce que ce film a soulevé en moi.


2001 est clairement découpé en 4 parties : l’aube de l’humanité, le voyage sur la lune, le voyage vers Jupiter, Jupiter et l’espace infini.
La première question qu’on se pose durant le film (c’est celle-là que je me suis posé en tout cas) c’est de savoir ce qu’est ce foutu rectangle noir, monolithe aussi inexpressif qu’écrasant de mystère qui apparaît dans 3 parties sur 4, et qui semble peser sur la destinée toute entière de l’espèce humaine.

On peut commencer par s’interroger sur son existence réelle ou symbolique au sein même du film.  Faut-il en effet le voir comme un Symbole, un genre d’allégorie des moments clés de l’évolution humaine, ou comme le « personnage » principal du film ?
Contrairement à l’interprétation que j’en avais fait il y a quelques années, je ne pense pas, à revoir le film, que la thèse du procédé symbolique puisse tenir la route très longtemps.
Si la question pouvait effectivement se poser en ce qui concerne sa première apparition chez les hommes-singes, elle apparaît nettement moins probable dans la deuxième partie du film :  Sa présence a donné lieu à de multiples travaux sur la lune, et l’on s’est évertué à mettre en place toutes sortes de stratagèmes pour conserver son existence secrète.

Une fois admis qu’on aurait bien affaire là à un genre d’entité intervenant concrètement dans le cours des actions humaines, se pose toujours la question de la nature de celle-ci.
Est-ce l’émanation d’une forme de vie extraterrestre supérieure (au sens des petits hommes verts) ou l’avatar d’une divinité ? Pour tenter de répondre à cette question, analysons le rôle de ce « personnage » dans le film.

Dans les 2 premières parties, le monolithe semble chercher à influencer l’évolution humaine : Découverte de l’outil  (prévalant à la première association d’idée qui en vient à séparer, d’un coup, l’homme du singe), puis incitation à dépasser les limites du voyage dans l’espace.
Notons qu’il est absent de la troisième partie du film, durant laquelle l’homme devra lutter seul contre une menace entièrement nouvelle (qu’il a plus que largement contribué à créer) : l’éclosion d’une intelligence artificielle avec laquelle il entre en compétition pour survivre.
Combat aux enjeux d’autant plus manifestes qu’il se déroule à l’issue du voyage d’exploration le plus important de l’histoire. En surinterprétant un peu on pourrait faire l’hypothèse que le monolithe attend l’issue du duel pour se manifester au vainqueur (HAL ayant clairement énoncé qu’il poursuivrait le voyage après avoir éliminé ses rivaux). Ou tout au moins peut-on observer qu’il se garde bien d’intervenir pour aider l’homme à dépasser cet obstacle (dont il est, après tout, seul responsable). On ne serait donc pas loin de la dimension de la quête initiatique, type quête du Graal, dans lequel le héros est transfiguré par ses épreuves (d’où le titre : « l’Odyssée de l’espace »).
Dans la quatrième partie le monolithe semble effectivement revenir pour guider l’homme dans son ultime voyage initiatique, vers le secret des secrets, l’aboutissement de son apprentissage.
Et contrairement à ce qu’on pouvait s’imaginer jusqu’ici, 2001 ne défend pas une perspective positiviste, évolutionniste, de la nature humaine, car le plus grand mystère pour l’Homme concerne en fin de compte le secret de son origine et de sa fin au sens ontologique des termes. L’expérience de la mort et de la naissance qui sont, sommes toutes, choses banales, inhérentes de tout temps à la condition humaine, et en même temps concepts les plus indépassables qui soient.
C’est donc dans un décor ressemblant au milieu naturel d'un être humain de sa culture* que l’astronaute est amené  à vivre sa propre mort, et à la dépasser pour renaître. II naît ainsi une seconde fois, mais en restant lui-même (les traits du visage du bébé sont les siens), ce qui laisse entendre qu’il conserve la connaissance de sa fin dans sa nouvelle vie (savoir le plus total que peut espérer un être mortel).

Au final, si dans les deux premières parties on pourrait croire que le monolithe n’a qu’un rôle de « tuteur » (et qu’il pourrait n’être en conséquence qu’une créature extraterrestre un peu plus évolué qui veut faire sa BA auprès de ses arriérés de petits cousins), son rôle dans la dernière partie semble plus se rapprocher de celui d’un démiurge, un dieu créateur qui possède les secrets de la vie et de la mort. On se gardera bien d’en dire plus, Kubrick lui-même ayant soigneusement évité toute référence mystique dans son film.
C’est d’ailleurs tout le génie de Kubrick d’être parvenu à traiter d’un tel sujet en évitant l’écueil du didactisme, de la lourdeur démonstrative. Il y est parvenu tant sur le fond (comme nous venons de l’aborder), que sur la forme : remplaçant les mots, forcément impropres à décrire l’inexprimable, par la musique et une mise en scène magistrale (l’os jeté en l’air, premier outil de l’homme, qui devient une fusée ; l’insoutenable succession d’images et de couleurs lors du voyage vers l’infini…). Le résultat est éblouissant de fluidité et d’intelligence.

*Ca y ressemble, mais ce n'est pas tout à fait ça : un salon bourgeois assez décalé, où se mêlent des éléments rétro et des éléments futuristes (le sol est fait de dalles lumineuses). Comme si on avait cherché à recréer artificiellement l'environnement d'une créature sans parvenir à se mettre à son niveau.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire