mardi 8 décembre 2009

Captain Britain, Héros Tragique ou dindon de la farce ?


Un petit mot de l’album d’Alan Moore et Brian Bolland ressorti il y a 1 ou 2 ans en version française. Une Bd qui surprend, interroge et, finalement, se révèle assez jouissive dans son genre.

Quand on connaît effectivement la qualité des œuvres scénarisées par Moore (V pour Vendetta, Watchmen, La ligue des gentlemans extraordinaires…), on ne peut s’empêcher d’être interloqué, dans un premier temps, par la fadeur et l’inconsistance du héros présenté ici. Grand beau blond musclé avec un masque ridicule, il semble tout avoir de la caricature. Si l’on ajoute que c’est un scientifique brillant (soi-disant), que ses parents sont décédés dans des circonstances culpabilisantes et qu’il dispose d’une super cave aménagée dans son château, on n’est pas loin du catalogue de clichés comics.

Sa seule originalité tient dans le fait qu’il détient ses pouvoirs de puissances celtiques, ce qui casse un peu avec l’image du héros moderne (ou post-moderne) retrouvé habituellement dans les comics, et le rattacherait à la tradition des héros de saga des vieilles légendes. Mais n’anticipons pas…

Ce qui surprend plus encore que son aspect poussif de justicier en carton-pâte, c’est sa fâcheuse tendance à l’échec tout au long du bouquin. Il s’en prend plein la gueule pour pas un rond, meurt ou est mis hors d’état d’agir régulièrement et semble, au final, ne pas avoir de rôle déterminant dans l’histoire. Plutôt étrange.

Sans prétendre avoir tout compris des finesses Mooriennes du scénario, je me propose d’avancer une tentative d’explication.

Dans Captain Britain, Moore reprend le thème du héros de tragédie et le traite à l’excès en le transposant dans l’univers comics des super-héros :

-       Le héros du livre est remplaçable à l’infini
il en existe un exemplaire par plan dimensionnel, qui semblent tous avoir en gros les mêmes caractéristiques. D’ailleurs, quand il est (une fois de plus) mis au tapis au moment crucial de l’intrigue, c’est l’un de ses clones qui prend le relais.

-       Il est modelable comme de l’argile
ses pouvoirs lui viennent de l’extérieur, si besoin on le modifie sur le plan physique ou intellectuel, lui rajoutant ou lui ôtant des souvenirs à l’envi, et on le ressuscite ad nauséam.

-       Il n’a aucun libre-arbitre, voire aucune utilité
Il apparaît n’avoir aucun contrôle sur ce qui lui arrive, rate presque tous ses combats et n’a, en définitive, qu’un rôle d’appât dans le combat final.

En vérité, si l'on peut lui reconnaitre certaines caractéristiques du héros tragique  (pléthore d'attributs héroïques mais pas de prise sur sa destinée), il n'en est pourtant que la caricature : Un pauvre gars qui ne comprend jamais rien à ce qui lui arrive, lessivé, qui devra se sacrifier sans qu’aucune de ses actions ne porte dans les faits. Instrument pré-formaté de puissances extérieures, il sert avant tout d’étendard, de façade pour les actions des « Dieux » (Merlin, qui ne prend même pas la peine de l’informer sur son rôle). Héraut* impersonnel plutôt que héros.

Très ironiquement, le véritable héros, celui qui agit, attire véritablement l’admiration (ou au moins l’étonnement), de par ses capacités supérieures et son courage sans faille, est une machine : le Cybiote.
Lui, au moins, est unique (ce qui est assez paradoxal pour une machine) et aura un rôle à part entière dans l’intrigue. On pourrait presque dire un libre-arbitre, dont il use avec une ruse certaine. En effet, quand sa dimension d’origine est détruite et qu’il se retrouve à flotter dans le néant, il s’interroge sur ce qu’il doit faire maintenant et choisit de continuer sa mission, ce qui aura une importance déterminante dans l’histoire. Il va  jusqu'à décider de buter son propre créateur (ou ce qui y ressemble), et on croirait presque que ça lui fait plaisir.
C’est la progression du Cybiote, sa quête, et au final son combat contre LA puissance du mal, qu’on suit tout au long du livre, plutôt que les errements pathétiques du « héros » humain. 


Moore prend manifestement beaucoup de plaisir à jouer avec les codes : Robot tueur prenant la place du super-héros dans son rôle de justicier, ouverture de l'album sur une scène incompréhensible laissant entendre qu'on a raté un épisode (et qui n'est expliquée qu'au milieu de la BD), mélange des genres de la science-fiction (voyage dimensionnel, gadgets high tech, mutants) et de la fantasy (enchanteurs, objets magiques, elfes)... Ce joyeux bordel tend à conférer un aspect indéniablement burlesque à l'album, décomplexé et irrévérencieux, qui tranche agréablement avec ce coté un peu figé et manichéen (pour ne pas dire simpliste) qu'on retrouve parfois dans les comics.

 *Au sens de représentant, messager officiel, qui ne prend pas par à l'action.

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